La cavité buccale accomplit des fonctions indispensables à la vie : carrefour aérodigestif, alimentation, immunité mais aussi communication. Les troubles de l’oralité sont une des manifestations parmi les plus fréquentes du Syndrome de Rett. Manger, boire, déglutir, ouvrir et fermer la bouche, mâcher, sourire, vocaliser voire parler… de nombreuses fonctions peuvent être perturbées par un organe bucco-dentaire dys ou non fonctionnel. Le chirurgien-dentiste est de ce fait un acteur majeur dans la prévention et la prise en charge des pathologies de cette zone si importante pour le confort de Vie des personnes Rett.

Spécificité des pathologies bucco-dentaires

Aucune pathologie bucco-dentaire n’est vraiment « spécifique » au syndrome de Rett. Cependant, la forte fréquence et l’expression simultanée de certaines pathologies font qu’elles sont considérées comme des critères de diagnostic « Rett », en particulier le bruxisme qui est présent dans presque neuf cas sur dix. Les autres pathologies très fréquemment rencontrées se retrouvent dans de multiples polyhandicaps : incontinence salivaire, troubles de la déglutition, stéréotypies orales ou automatismes des mains à la bouche. La maladie va pouvoir influencer l’intensité de certaines manifestations, présentes chez des personnes non porteuses de handicap, mais en amplifiant certains symptômes tels que les maladies carieuses ou gingivales, les déformations maxillaires avec les malpositions orthodontiques ou les conséquences des chutes, épileptiques ou non. Les traitements pris par les patients Rett peuvent avoir des conséquences sur l’état de santé bucco-dentaire et leur traitement. On pourra citer les hypertrophies gingivales des antiépileptiques, des altérations de la qualité/quantité de salive des traitements cardiovasculaires, respiratoires, de l’humeur ou du reflux gastro-oesophagiens mais aussi l’atteinte osseuse des maxillaires des traitements de l’ostéoporose à base de bis-phosphonates.

La prévention et la prise en charge de ces troubles reste un enjeu majeur de confort de vie pour les patients Rett. Le chirurgien devra adapter son approche à l’ensemble de ces paramètres.

La prévention des pathologies bucco-dentaires : l'alimentation

Il s’agira souvent de concilier la prévention dentaire et les besoins nutritionnels particuliers, surtout chez la personne dénutrie. On cherchera l’équilibre entre ces deux impératifs.

De manière générale, on évitera la prise continue d’aliments ou de boissons sucrées tout au long de la journée. Si l’alimentation doit être fractionnée, car la personne ne peut digérer de grandes quantités à la fois, on essayera d’adapter son hygiène en brossant les dents, même rapidement, plusieurs fois par jour. Dans tous les cas finir un repas ou une collation par une boisson, non sucrée de préférence, éliminera un minimum de dépôts alimentaires collés sur les surfaces buccales et dentaires.

Il faudra veiller à limiter la prise des boissons sucrées à proximité des repas et à privilégier l’eau entre les repas, à défaut des boissons aromatisées non sucrées. On veillera à respecter autant que possible un temps de repos entre deux repas afin de laisser le pouvoir tampon de la salive équilibrer le pH buccal (phénomène naturel), et à brosser après les repas principaux, avec une attention particulière pour le brossage du soir. L’enfant doit se coucher la bouche propre.

De même, si la personne sait mastiquer, il est préférable de proposer  des aliments solides vers la fin du repas. Les aliments plus mous (hachés ou mixés) seront donnés au début afin de répondre plus vite à la faim et permettre de nourrir la personne sans trop la fatiguer. Le fait de mastiquer ensuite contribuera au nettoyage des faces dentaires, tout en permettant de diversifier l’alimentation et les intérêts gustatifs. Il est intéressant de finir le repas avec un aliment protecteur (non sucré, par exemple le fromage).

« Bien manger » veut dire manger de bonnes choses, du point de vue qualitatif et quantitatif, mais aussi manger correctement, avec une bouche en bon état de fonctionnement. Les professionnels de la nutrition et de l’art dentaire sont là pour vous accompagner et personnaliser les conseils en fonction des besoins propres à chacun et chacune.

Inna sur les genoux de sa maman
Inna et sa maman

Prévention des pathologies bucco-dentaires : Le brossage et le fluor

L’hygiène bucco-dentaire dentaire est la clé de voûte de la prévention. Elle doit commencer dès le plus jeune âge (première dent) et se poursuivre à la chute de la dernière dent, jusqu’à la fi n de vie de la personne.

Adapter l’hygiène aux possibilités de la personne :

  • Lieu et position : Installation confortable (assise ou couchée), la bouche est accessible. Le mieux est de venir en trois quarts arrière s’il y a besoin de maintenir la tête : l’envelopper en douceur de ses bras (pli du coude), pour garder les deux mains libres pour accomplir le brossage. La présence d’un miroir, à hauteur de la personne, peut aider à la compréhension de ce qui se passe et donc sa coopération au soin.

  • Ouvrir la bouche et la maintenir ouverte est difficile : interposer d’un côté de la mâchoire un objet mou et ferme à la fois comme un manche de brosse à dents caoutchouté ou en gomme, et brosser de l’autre côté. Puis inverser. Pour inciter l’enfant à desserrer les dents, on peut passer un doigt par l’extérieur des molaires et le passer à l’arrière de la dernière dent en poussant sur la gencive. Cela donne envie d’ouvrir la bouche avec peu de risques de morsures et laisse le champ libre pour poser le manche de l’autre côté. Le rituels et les chants sont souvent d’une grande aide pour contribuer à apaiser les tensions et détendre ce moment de soin parfois vécu comme une contrainte voire une lutte.

  • Type de brosse : on la recommande généralement plutôt de petite taille et douce. Mais il faut surtout qu’elle convienne à l’enfant ou l’adulte, et qu’elle brosse partout, sur les dents et les gencives. Le brossage électrique est-il meilleur ? Tout dépend de son acceptation (vibration, bruit) et de son passage dans les zones difficiles d’accès. Dans de nombreux cas on constate souvent une amélioration des conditions buccales (tartre, gingivite voire caries)  car l’aidant voit sa tâche compétée par la rotation et/ou vibration de la brosse électrique. Le temps du soin s’en trouve réduit pour un résultat meilleur.

  • Type de dentifrice : selon les conseils du dentiste traitant, adapté à l’âge et aux goûts de l’enfant ou de l’adulte. Choisir un dentifrice au Fluor reste indispensable car il est un des éléments essentiels dans la lutte contre les caries. Récemment les dentifrices reminéralisants à base d’hydroxyapatite (minéraux constitutifs de la dent) sont venus compléter l’offre disponible. Certains dentifrices auront des molécules ciblant de façon privilégiée les maladies de gencive, à privilégier si c’est la problématique du moment. Le geste de brossage doit être efficace sinon le meilleur des dentifrices ou des bains de bouche seront sans effets si les dents sont pleines d’aliments ou de plaque.

  • Type de brossage : selon l’âge, à la compresse pour les premières dents, horizontal sur la face triturante dans la petite enfance. Puis, peu à peu, on rajoutera le brossage vertical, de la gencive vers le rebord des dents. Ne pas oublier les faces internes : côté palais et langue. On brosse bien jusqu’à la dernière molaire.

  • Le rinçage : la personne Rett ne peut généralement pas cracher. On limitera la dose de dentifrice et on rincera plusieurs fois avec la brosse et de l’eau claire, ce qui est en outre la recommandation actuelle de l’UFSBD en la population générale.

  • Si le brossage est impossible : faire boire de l’eau après le repas pour limiter la stagnation alimentaire. Passer une compresse, mouchoir ou un gant de toilette pour éliminer les restes alimentaires accessibles. On pourra l’imprégner de bains de bouche au besoin.

  • La bouche de la personne nourrie exclusivement par gastrostomie doit aussi être brossée : la plaque dentaire y stagne et peut être source de problèmes gingivaux, d’halitose (mauvaise haleine) et d’inconfort. Simple analogie : ce n’est pas parce qu’elles ne marchent pas qu’on néglige l’hygiène de leurs pieds !

  • Le fluor contribue à la résistance des dents face à la carie : le dentiste adaptera la prévention fluorée en fonction des apports généraux avalés (eaux, sel de cuisine fluoré, dentifrice avalé) et des apports locaux par contact des dents en bouche avec ces produits. Au besoin, il prescrira une supplémentation orale par comprimés ou gouttes, ou procédera à une fluoration professionnelle sur les dents (gels, vernis…).

Trouver un chirurgien-dentiste

De nombreux obstacles viennent compliquer l’accès aux soins dentaires. Car outre la problématique évidente de l’accessibilité des locaux, reste celle de trouver un praticien et une équipe avec un minimum de formation et d’aptitude à prodiguer des soins à un public à besoins spécifiques, enfant ou adultes. Depuis quelques années, des mesures de santé publique ont pour but d’améliorer la prise en charge reconnue « complexe » des personnes porteuses de Handicap en permettant de reconnaître le temps supplémentaire passé avec les patients et les difficultés à leur prodiguer des soins, par une codification tarifaire compensatrice. Des visites « blanches » permettant à la personne de s’habituer aux locaux, puis la fois suivante d’accepter de s’installer sur le fauteuil dentaire voire d’ouvrir la bouche et se laisser examiner…etc, le recours à des fluorations professionnelles si nécessaires et même le recours au MEOPA en sont quelques exemples.

Ces mesures, tant attendues, auraient dû résoudre cette problématique, mais dans une France touchée par la désertification médicale, nombre de régions sont actuellement sous-dotées en praticiens et de nombreux patients n’ont plus accès à un dentiste dans une zone ou un délai raisonnable. Les personnes handicapées ne peuvent pas être priorisées et se voient une fois encore, plus concernées par l’inaccessibilité aux soins dentaires.

Quelques recommandations : pour trouver un dentiste, s’adresser :

  • à l’Ordre national (ou départemental) des chirurgiens dentistes ;

  • à la MDPH ou l’ARS ;

  • aux réseaux de soins dentaires : Handident (en régions : Alsace, PACA, Hauts-de-France, Midi-Pyrénées, Normandie), Rhapsod’if (Ile-de-France), Santé bucco-dentaire et Handicap (Rhône-Alpes) Acsodent (Pays de la Loire), AOSIS (Nouvelle Aquitaine) ; liste consultable sur SOSS.fr ;

  • aux Facultés de Chirurgie dentaire et Hôpitaux ayant un service dentaire, souvent pédiatrique, parfois dédié au handicap ;

  • à d’autres parents d’enfants/adultes handicapés. Aux soignants (médicaux, paramédicaux) et aidants institutionnels ou à domicile. Le bouche-à-oreille est parfois bien utile face à l’anonymat d’un annuaire.

Attention : le praticien de famille, même s’il convient aux parents depuis toujours, ne sera pas forcément le meilleur intervenant pour leur enfant. La relation thérapeutique ne s’explique pas, elle se crée. Et dans ce domaine, l’enfant /la personne Rett a aussi son mot à dire même si elles le disent à leur façon elles se font souvent très bien comprendre !

Trouver son réseau régional de soins dentaires

Les soins bucco-dentaires : approches thérapeutiques

Différents niveaux de prise en charge existent, ils ne sont cependant pas exclusifs, mais complémentaires. Ils doivent permettre de soigner la pathologie concernée en fonction des besoins (contrôle, soin simple ou acte techniquement difficile ou long… etc.) et de la situation (urgence, coopération). Il est donc possible de passer de l’un à l’autre au cours de la vie dentaire.

Ainsi même si les soins courants d’une patiente Rett coopérante peuvent être effectués en cabinet de ville, certains actes plus spécifiques (radiologies 3D, orthodontie ou chirurgies de dents de sagesse) devront être effectués en cabinet spécialisés ou en milieu hospitalier. La prise en charge est parfois pluridisciplinaire : certains actes ne se feront qu’après concertation avec par exemple le médecin traitant, le neurologue, le gastro-entérologue ou l’orthophoniste.

Afin que la consultation ou les soins se déroulent au mieux, il est important de recréer un environnement confortable, rassurant et sécure pour la personne Rett, par exemple en emmenant un doudou ou une boîte à musique, en fredonnant sa chanson préférée ou tout autre rituel mis en place au moment du brossage de dents. La présence d’un accompagnateur la connaissant bien et sachant décoder ses humeurs et ses réactions facilitera son approche, en permettant à l’équipe soignante de mieux se concentrer sur le soin et maximisera les chances que la séance se déroule dans les meilleures des conditions techniques et humaines.

Selon la situation clinique et le besoin de soin, on s’orientera vers une prise en charge :

  • à l’état vigile, veille complète ;

  • à la sédation :

    • par prémédication : orale, nasale ou rectale ;

    • par inhalation de Méopa (mélange de protoxyde d’azote et d’oxygène) ;

    • par injection IV (intra-veineuse) : en milieu hospitalier uniquement ;

    • à l’anesthésie générale : immobilité complète. Hospitalisation ambulatoire en général, actes multiples, plus longs ou plus complexes (par exemple : les dents de sagesse).

Dans tous les cas et autant que possible, les soins de la cavité bucco-dentaire devront être réguliers et la prévention adaptée et constante tout au long de la vie des patiente Rett. Car même si elles parlent avec leurs yeux, leur sourire reste la plus belle expression de leur bonheur.

Dr Véronique LAULY-SPIELMANN, chirurgien-dentiste (2025)

Le Méopa, Mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote, est un gaz composé à 50 % d’oxygène et à 50 % de protoxyde d’azote. Il est utilisé en cabinet dentaire, en ville, depuis quelques années. Il est inodore et incolore. C’est un dispositif de sédation consciente, c’est-à-dire qu’il permet d’apaiser ; il a une action contre l’appréhension et l’angoisse des séances en cabinet dentaire. Il permet de limiter ou d’inhiber le stress et abaisse le seuil de perception de la douleur.

Pour utiliser le Méopa, le praticien n’intervient pas seul, mais, avec une assistante pour pouvoir contrôler en permanence les réactions du patient. Le Méopa est administré par l’intermédiaire d’un masque nasal que l’on plaque sur le nez de la personne, sans que l’air puisse passer à l’extérieur. On peut parfois préférer un masque nasobuccal mieux toléré par certains personnes. On laisse respirer la personne, tranquillement pendant trois minutes pour que l’effet recherché soit obtenu, en lui parlant doucement. Très vite, après 1 minute - 1 minute 30, la personne se sent apaisée ; il arrive même qu’elle se mette à sourire. Dès qu’elle est parfaitement détendue, les soins peuvent commencer.

Il faut ajouter que l’utilisation de Méopa ne dispense pas de l’utilisation de l’anesthésie, mais elle permet de réduire le seuil de perception de la douleur. Une séance est parfois suffi sante pour les personnes atteintes du syndrome de Rett, mais on peut être amené à l’utiliser deux ou trois fois.

L’avantage du Méopa est que l’on n’a pas besoin d’une anesthésie générale ; les soins se font dans un cabinet classique, avec des délais d’attente moins longs. La durée d’action brève après l’arrêt de l’inhalation, sa facilité d’administration et le peu d’effets indésirables en font un agent analgésique de choix. Il existe toutefois des contre-indications (médications, pathologies respiratoires...). Il est donc nécessaire de faire un bilan avant toute intervention auprès de son praticien. N’hésitez pas !

Dr Nathalie LIEVENS-SCHLOSSER, chirurgien-dentiste