Que ce soit à la maison ou en institution, les activités de la vie journalière sont les fondements de l’éducation. Elles ne sont pas uniquement un programme de soins hygiénistes. Ces actes permettent de centraliser en un seul moment les prises en charge qui n’abordent souvent chacune qu’une parcelle de l’individu dans des situations artificielles.
Pour les personnes atteintes du syndrome de Rett, ces moments sont essentiels et préventifs. Ils ont pour but de les rendre actrices, de ne pas faire à leur place mais de les guider pour faire. On met ainsi en œuvre des processus favorisant la perception, la communication, l’intégration et la socialisation. Sans chercher à normaliser et à suivre les schémas courants, les moyens sont à adapter en fonction de leur âge réel et non en fonction de leur degré de dépendance et sont à poursuivre toute leur vie.
Le fait que l’accompagnateur prenne conscience que la construction de la personne dépendante passe par ces actes, a priori routiniers, leur donne un sens qui sous-tendra la manière dont il va prendre soin de la personne.
L’approche de la stimulation basale d’Andreas Fröhlich offre des pistes d’accompagnement pour les personnes atteintes à plus ou moins grand degré dans leur capacité de vie. Leurs déficiences émotionnelles, cognitives, motrices et d’expression sont très marquées. De ce fait leurs capacités réelles ne sont pas reconnues. Il ne s’agit ni de technique ni de recette, mais de la mise en pratique d’une philosophie qui s’appuie sur des bases neurophysiologiques, neurodéveloppementales et psychopédagogiques.
Cette philosophie s’appuie sur les trois domaines fondamentaux propres à tous les individus, quels qu’ils soient, liés d’une manière indissociable et qui sont les sens profonds : somatique, vestibulaire et vibratoire. Les cinq sens classiques : l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût et le toucher vont servir de médiateurs entre le dehors et le dedans. Elle est accessible à tous les accompagnateurs, quels qu’ils soient, car elle ne demande pas de moyens sophistiqués et doit, en priorité, s’inscrire dans les éléments de la vie de tous les jours. Les buts principaux sont d’aider la personne à se découvrir elle-même, à découvrir son propre corps, son entourage et son environnement social.
Les particularités des personnes atteintes du syndrome de Rett
Elles n’ont pas toutes les mêmes difficultés motrices. En revanche, elles présentent des signes caractéristiques avec, entre autres, un jeu au niveau main bouche qui freine beaucoup les expériences pour découvrir le monde ainsi que leur capacité d’initiative. Elles sont puissantes pour saisir et retenir ce qui est de l’ordre des émotions, pour tirer parti des gens et des circonstances. Elles aiment la société. Elles se conditionnent assez vite. Leurs faiblesses proviennent d’une difficulté pour se percevoir en globalité et gérer les flux sensoriels. Elles ont aussi des difficultés pour comprendre le temps, la durée, l’espace. Ces faiblesses entraînent souvent des comportements de refus, des angoisses et une sous-utilisation des outils moteurs qui vont provoquer, à long terme, un appauvrissement sensoriel avec un impact sur leurs capacités motrices et cognitives. Quelles que soient les conditions dans lesquelles ils sont exercés, les soins de vie peuvent et se doivent de prévenir l’augmentation de ces signes. L’objectif n’est pas de les annuler complètement, mais bien d’en diminuer l’ampleur.
Quels outils en fonction de leurs particularités ?
Le toucher et le mouvement sont deux éléments clés pour aider ces personnes. Il y a des touchers qui concentrent et d’autres qui dispersent. La symétrie est également un principe important. Notre corps est construit de façon symétrique, mais le handicap empêche souvent cette symétrie de se manifester. Aussi utilisent-elles partiellement leur corps de manière stéréotypée. Pour ces personnes, malgré les explications orales, certaines situations sont difficiles à vivre et à comprendre, comme sortir ou rentrer dans la baignoire, accepter la brosse à dents, attendre, comprendre l’enchaînement des événements…
La perception somatique : les aider à se percevoir en globalité
La toilette, le bain, l’essuyage, le brossage des dents, le lavage des mains sont des moments à travers lesquels on peut les aider à se percevoir en globalité. Ces gestes sont simples, mais essentiels.
Commencer par un « toucher rencontre » pour, au-delà des mots, prévenir qu’il va se passer quelque chose. Ce peut être un contact chaud, chaleureux, mais assez profond sur le plexus ou les deux épaules, ou encore les genoux par exemple. La répétitivité va les aider à anticiper sur ce qui va se passer. Avec elles, la parole doit très souvent être doublée d’un message tactile.
Nous avons tous des zones neutres et des zones qui se mettent en état d’alerte, donc en tension. Il est préférable de ne pas commencer par leur laver la tête ni les mains et de terminer par le visage.
Les faire se toucher avec ou sans guidance, utiliser leurs compétences motrices pour les aider à aller vers elles-mêmes, ailleurs qu’autour de la bouche.
Varier les gants, les lavettes, les éponges, les savons…
Passer la pomme de douche lentement en partant des épaules, en faisant le contour et en s’arrêtant quelques secondes sur chaque articulation.
Les essuyer en symétrie en les enveloppant entièrement avec des pressions fermes et chaleureuses.
Pour enlever ou mettre les chaussures, mettre les deux mains sur les hanches, descendre rapidement avec un toucher ferme jusqu’aux pieds.
Dissocier le lavage des dents du bain ou de la douche. La position allongée ne facilite rien sur le plan sensoriel.
Le développement de la perception de la sphère périorale, orale et des mains
Les activités orales et olfactives sont de première importance pour le bébé et se poursuivent toute la vie. C’est la conjonction des dimensions olfactives, gustatives, de succion qui donne du plaisir à cette activité. Le danger est que la bouche reste mobilisée comme moyen de transit et d’exploration et empêche les mains d’aller vers le monde.
Les personnes Rett ont, à plus ou moins grand degré, une facilité à porter les deux mains à leur bouche ou bien à les utiliser à travers quelques stéréotypies en les ramenant au milieu. Elles portent rarement des objets à la bouche pour les sucer. Ces difficultés exploratoires entraînent une désinformation sensorielle importante. Des comportements de refus peuvent être liés à cet état de fait. Ce n’est pas un choix, c’est un refus sensoriel.
On peut par exemple :
proposer des soins de bouche avec des variétés de brosses, de compresses et de dentifrices aux goûts différents ;
passer de la crème en symétrie sur le visage avec des gestes rapides et profonds (pas plus de trois fois sinon cela devient irritant) ;
leur faire sentir ce qu’elles mangent ainsi que des odeurs non liées à l’alimentation ce qui développe aussi la respiration ;
les associer olfactivement et gustativement à la préparation des repas, leur permettre de découvrir les saveurs de base amère, salée, acide en sachant qu’elles ont une préférence pour le sucré, mais qu’il est important d’élargir leur monde ;
leur laver les mains avant et après le repas, même si elles ne mangent pas seules ; au-delà de l’hygiène, ce sont des repères dans le temps ;
leur donner des informations principalement à l’intérieur de la main, leur laisser des objets dans les mains, pas plus de vingt minutes car les informations disparaîtraient ;
faire de la guidance pour éplucher une pomme, une orange, casser des œufs ;
pour celles qui ne mangent pas seules, associer le geste de guidance en partant de l’épaule et en descendant assez fermement jusqu’à leur main pour les aider à porter en bouche. Parfois il faut contenir l’autre main afin de permettre à la main occupée d’être plus disponible.
La perception vibratoire : leur faire prendre conscience de leur structure osseuse
Se heurter le dos sur le fauteuil, préférer des objets sonores, crier… sont autant de manifestations laissant à penser qu’elles en ont besoin :
lors des toilettes, insister sur le long de la colonne vertébrale avec le jet, de haut en bas, lentement trois fois ;
laisser couler un peu l’eau sur leurs pieds ou bien sur le crâne. Si elles aiment bien, leur donner des limites dans le temps ;
parfois la brosse à dents électrique est mieux supportée que la compresse ou la brosse manuelle ;
poser leurs mains, en les tenant, sur le sèche-cheveux ;
leur mettre la main sur le cœur ou sur votre cœur pour en sentir les battements ;
les faire passer sur des sols inégaux qui provoquent des vibrations, en alternance avec un sol plat pour le contraste ;
dans la cuisine, les installer de manière à leur permettre de sentir les vibrations du mixeur ;
utiliser des coussins vibrants.
La perception vestibulaire : les mouvements, le temps, l’espace, les déplacements, les transferts et l’attention visuelle
De nombreuses personnes craignent les changements de position, quelques exemples ci-dessous :
avant chaque transfert, introduire le « toucher-rencontre » cité plus haut ;
travailler sur la respiration pour les aider à se poser ;
ne pas surstimuler mais faire des pauses entre chaque changement ;
leur demander de regarder la cuiller, le savon, les objets et leur faire lentement suivre du regard des objets en haut, en bas, sur les côtés ;
éviter de les mettre trop devant la télévision, sauf s’il y a un programme pour elles ;
se balancer avec elles de différentes manières sans oublier de faire des ruptures régulières ;
leur donner des repères afin de les aider à se situer dans le temps et l’espace. Des lieux signifiants, les codes d’entrée et de fin pour certaines situations vont les aider à long terme à anticiper ;
l’utilisation de certains jeux vidéo basés sur l’analyse visuelle (suivre un objet sur écran) aide à développer des modifications rapides d’informations. Ce sont des outils précieux à condition de leur demander le plus souvent possible de regarder au quotidien ;
couper le contact visuel et ne pas trop parler pour les inciter à regarder leur main.
L’éducation sensorielle globale est à la base du développement et perdure toute la vie. C’est le socle de sécurité physique et psychique. Cette éducation sensorielle est indissociable du développement cognitif.
Le développement cognitif, les éléments de communication et le contrôle des émotions
Les émotions, qui sont une conduite de relation, ont un effet désorganisateur si on ne développe pas la connaissance. La peur, les angoisses, mais aussi les plaisirs sont à canaliser pour ne pas envahir et parfois augmenter les crises d’épilepsie. Les aspects émotionnels influent sur la communication et sont aussi réels que les aspects corporels. Souvent les parents et les professionnels disent « je sais ce qu’il veut ». Ce n’est pas réellement de la communication : c’est la compréhension que l’on a de l’autre, c’est donc plus de l’interprétation.
Plaisir, déplaisir, choix : oui/non, compréhension et communication
Il y a deux stades importants à dissocier au niveau de la compréhension. Le premier stade où les sens réagissent immédiatement, sans mentalisation. Par exemple : une personne reçoit un objet inconnu, elle va réagir en repoussant ou en montrant qu’elle ne le veut pas.
Le second stade dépend de l’apprivoisement progressif pour apprendre à connaître et à choisir, en mentalisant et en leur offrant des contrastes qui vont les faire réagir à la fois sur le plan tonique, cognitif et affectif. Si elles manifestent un déplaisir, il est important de le voir sous un aspect positif. Il faut le leur proposer plusieurs fois et dans différentes situations pour qu’elles s’habituent.
Intégration et socialisation
Être intégré et se sentir intégré socialement, c’est faire partie d’un groupe en s’adaptant aux règles et au rythme collectif.
Le groupe famille avec ses repères en est le premier lieu.
En IME, les stratégies progressives et éducatives sont adaptées. Les ateliers, individuels et collectifs sont les principaux outils. De l’extérieur, ils peuvent donner à penser que ce sont des moments simples de jeux. Ils demandent cependant une grande rigueur et un bon sens de l’organisation aux encadrants.
En MAS, des ateliers ont pour objectif de maintenir les acquis, mais surtout d’apprendre à respecter les règles sociales à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution.
Capacités d’adaptation et de généralisation des acquis
Tous les moments sont complémentaires des autres interventions. Augmenter des séances de kinésithérapie ou de psychomotricité ne servira que très peu s’il n’y a pas un fil conducteur avec ces actes de vie. Il faut donc créer un véritable travail de partenariat.
Savoir varier les situations, ne pas toujours les mettre à la même place, accepter qu’elles mangent progressivement avec tout le monde et les installer avec d’autres jeunes.
Avoir, sur un plan familial et professionnel, une grande cohésion pour leur faire sentir qu’il y a un projet commun et un contenant.
En institution, qu’elles soient en IME ou bien en MAS, ces ateliers éducatifs ne sont pas des ateliers occupationnels, c’est l’aspect ludique qui motive.
Du côté des parents
Parfois désarçonnés, les parents ont sollicité et reçu des avis multiples. Ils ont lu des articles qui ont pu être contradictoires sur le comportement à choisir. Ils ont essayé différentes approches où, parfois, le quotidien n’est pas vu avec un aspect développemental.
Conclusion
Les outils principaux se trouvent dans le quotidien dès l’enfance. Chaque nouvelle étape dans l’autonomie, depuis quitter des yeux sa mère, accepter d’attendre, accepter l’éloignement et donner un objet sont une petite séparation. Permettre à l’autre de s’éloigner pour exister, c’est le respecter.
La surprotection n’a jamais aidé qui que ce soit. Pour cela il faut « un peu, mais pas trop » craindre pour elles et faire confiance en leur capacité d’adaptation. On veut qu’elles grandissent et se développent bien. Il faut leur donner des limites structurantes, délimiter leur territoire et un peu d’autorité, l’éducation est partout. Il n’y a pas des moments où l’on éduque et d’autres pas. Les personnes Rett ont un potentiel enfoui et le regard que l’on porte sur leurs possibilités a un impact réel sur leur devenir. Parents et institutions, que ce soit en IME ou en MAS, se doivent de leur offrir ces outils qui paraissent simples de l’extérieur, mais qui sont essentiels. L’éducation au quotidien relie les différentes prises en charge, c’est un fi l conducteur entre tous les intervenants. l’enfant.
« Le jeu est le métier de Savoir « jouer » est fondamental, à condition de savoir ce qui est en « jeu ». On joue toute la vie, mais c’est sérieux ! »
Maria Montessori