Que nous soyons parents ou professionnels, la question de l'alimentation est une préoccupation majeure dans le syndrome de Rett. En effet, 30 % des personnes atteintes sont dénutries (Senez and Benigni, 2008). D'autre part, la majorité de ces personnes ne se nourrissent pas seules. Des facteurs associés sont constatés, qu'ils soient iatrogènes (nous entendons par là, une perte d'appétit due aux effets secondaires de certains médicaments), sensoriels, environnementaux, posturaux ou moteurs. Certaines études vont dans le sens d'une spécificité des particularités alimentaires (Isaacs et al., 2003). Bien que la typologie des troubles alimentaires dans le cadre du syndrome de Rett ne soit pas encore clairement et scientifiquement délimitée, les adaptations, désensibilisations et aménagements sont connus et validés par des travaux dans d'autres pathologies. Les études scientifiques confirment que ceux qui accompagnent au quotidien les personnes avec un syndrome de Rett sous- estiment les difficultés alimentaires.
Nous n'allons pas traiter, ici, la question de la dénutrition des personnes avec un syndrome de Rett, c'est l'objet de l'article rédigé par Irène Benigni, mais nous allons aborder le syndrome de dysoralité sensorielle, les fausses-routes, l'hydratation, les modifications de texture, la posture (celle de la personne et de celui qui la nourrit), l'installation à la table, la durée du repas et les intervalles entre les repas.
La dysoralité sensorielle
Le syndrome de dysoralité sensorielle n'est pas spécifique au syndrome de Rett, il peut toucher tout un chacun, mais reste plus fréquent dans cette pathologie puisque 54 % des parents le décrivent chez leurs filles (Senez and Benigni, 2008). Il se manifeste par des hypersensibilités ä certaines odeurs, textures, températures et goûts qui se traduisent par un évitement ou parfois des nausées (pouvant aller jusqu'aux vomissements). Les personnes peuvent garder les aliments en bouche, dans les sillons jugaux, et ne pas mastiquer alors qu'elles en ont la capacité. Le temps du repas s'allonge et l'appétit est médiocre et irrégulier. Un programme de désensibilisation (Senez, 2002) doit être mis en place par des professionnels, formés, le plus souvent des orthophonistes. Il s'agit de touchers thérapeutiques intrabuccaux rapides et appuyés qui, par la répétition, vont conduire à une habituation et minorer les réactions défensives. Ce programme de désensibilisation se réalise plusieurs fois par jour pendant environ 7 mois. Il est donc nécessaire d'enseigner aux parents et aux personnes de l'environnement quotidien ces gestes techniques. Si ce programme paraît contraignant par sa fréquence quotidienne et sa durée, chacune des séquences reste brève et, habituellement, au cours de la désensibilisation, nous observons les personnes accepter davantage d'aliments, manger plus rapidement et surtout avec plaisir. De plus, ces touchers intrabuccaux sont bien acceptés, car rapides et entraînant un bénéfice constaté par la personne elle-même.
L'aspect sensoriel ne s'arrête pas, dans le cadre de l'alimentation, au syndrome de dysoralité sensorielle. Il intervient également dans le processus de déglutition. En effet, ce sont les caractéristiques sensorielles de l'aliment qui vont régler le nombre de mastications (Peyron and Woda, 2001). La texture et le volume vont également déterminer le réglage précis, lors du temps pharyngé, des contractions laryngées et pharyngées en termes de vitesse d'exécution et de force musculaire. Nous ne pouvons donc que constater l'influence des qualités sensorielles de ce qui est mis en bouche sur le mécanisme même de la déglutition et donc sur son bon déroulement.
Les fausses-routes
La déglutition vise la protection des voies respiratoires. La fausse-route est donc dangereuse pour celles-ci si elle n'est pas évacuée.
Les fausses-routes sont de plusieurs types :
fausse-route laryngée : il y a une pénétration laryngée des aliments par défaut de fermeture laryngée glottique. Si cette fausse-route entraîne une toux, elle n'est pas grave, car les cordes vocales sont alors fermées ;
fausse-route pharyngée : elle peut être due à un mauvais contrôle du bol ou a un retard de déclenchement du temps pharyngé ;
fausse-route par regorgement ;
et fausse-route par aspiration à la reprise inspiratoire.
L'hydratation et les textures
Les personnes avec un syndrome de Rett ne semblent pas faire davantage de fausses-routes que celles avec un polyhandicap. 10 % des parents en signalent (Senez and Benigni, 2008). Avec des aliments mixés, il n'y en a quasiment pas. Ce sont les fausses-routes aux liquides qui sont les plus fréquentes. Ces personnes n'ayant pas soif, les accompagnants leur remplissent la bouche et le liquide coule, par les lèvres et dans le larynx sans qu'elles donnent le coup de piston lingual nécessaire à la propulsion du liquide. L'hydratation est donc un point de vigilance particulier chez les personnes avec un syndrome de Rett. Il faut être attentif à l'équilibre entre les pertes en eau (salive, transpiration... ) et ce que l'on propose. La déshydratation peut intervenir rapidement, surtout en période estivale et aggrave la constipation dont souffre une partie de cette population. Il convient d'hydrater la personne avec de l'eau chaude environ l5 minutes avant le repas, de poursuivre à faible dose pendant, mais de ne rien donner après afin de ne pas majorer le reflux gastro-œsophagien dont souffre plus de la moitié des personnes atteintes du syndrome de Rett (Senez and Benigni, 2008).
La présence de fausses-routes, mais également une insuffisance de la mastication peut conduire le médecin à prescrire une adaptation des textures et/ou des liquides. Cette prescription fait suite aux préconisations du bilan orthophonique de la déglutition et de l'alimentation. Voici quelques repères qui régissent ces modifications de textures pour les aliments :
Le nombre moyen de mastications pour une bouchée de pain est de 20 à 30. Lorsque la personne n'effectue que 10 à 20 mastications, l'utilisation d'un masticateur est préconisée. Le passage à la texture hachée lubrifiée se fait lorsque la personne ne mastique plus qu'entre cinq et dix fois sa bouchée de pain ou alors lorsque le nombre de mastications est inférieur ä cinq, mais que le déplacement latéral des aliments subsiste. À moins de cinq mastications, les aliments sont présentés sous forme de purées.
Il faut toujours garder en mémoire la notion d'équilibre énergétique: un repas long, des efforts pour mastiquer vont constituer une dépense énergétique supplémentaire qui va venir grever l'apport nutritionnel des aliments.
L'adaptation des textures concerne aussi les liquides. Voici la gradation des adaptations possibles : liquide chaud ou froid, liquide gazeux et liquide légèrement, modérément ou très épaissi. Les fausses-routes sont plus fréquentes avec les liquides, car ceux-ci renvoient moins d'informations sensorielles. Les adaptations consistent à rendre ces informations plus claires en les exacerbant.
La prévention ou la limitation des fausses-routes ne se limite pas aux modifications de textures : la posture de la personne lors du repas et celle de l'accompagnant interviennent.
La posture
La personne doit être installée avec la tête droite ou en légère flexion (un petit coussin peut aider à obtenir cette position) afin de protéger les voies respiratoires. Au contraire, la tête en extension favorise les fausses-routes. L'appui podal ainsi que l'appui dorsal sont également nécessaires afin de limiter les tensions des muscles du dos qui viendraient placer la tête en extension. De plus, cela facilitera également la digestion. L'appui podal peut être obtenu par un marchepied ou l'utilisation de chaises l'intégrant.
L'appui dorsal n'est pas facilité par la scoliose des personnes avec un syndrome de Rett, mais peut être recherché par l'utilisation de petits coussins. On veillera ä la flexion des genoux, des chevilles et des hanches à 90º. Les genoux peuvent être, éventuellement, plus hauts que l'assise ; les enfants cherchent ainsi moins à se relever.
Lorsque la personne peut manger seule, la hauteur de la table est également importante : la table doit se situer entre le nombril et le dessous de la poitrine de la personne. Elle peut parfois être davantage relevée pour réduire la distance entre la bouche (ou le regard) et l'assiette. Dans ce cas, les mains, les avant-bras et les coudes ne peuvent plus reposer sur la table comme cela est préconisé. Un autre système pour relever l'assiette sera donc recherché (utilisation d'une brique de psychomotricité, par exemple).
Les outils du repas seront également adaptés : les couverts qui faciliteront la prise en main (couverts ä manche rond, ä manche rond et volumineux...), le verre échancré qui permet d'éviter l'extension de la tête (au contraire du verre à bec qui est à bannir), l'assiette unie, opaque qui permet à la personne de bien distinguer ce qu'elle a dans son assiette, le tour d'assiette ou l'assiette creuse qui permet d'éviter les débordements.
L'accompagnant doit adapter sa posture et sa manière de donner à manger afin d'éviter toute extension de la tête. Il doit donc placer son regard à la même hauteur que celui de la personne nourrie et amener la cuillère en dessous du regard. Donner à manger doit se faire selon un rythme précis qui permet d'enchaîner les déglutitions. Il ne doit donc être ni trop lent, ni trop rapide. Cela se fera à l'aide d'une petite cuillère qui ne risquera pas de blesser comme pourrait le faire une fourchette et qui contient ce que peut déglutir une personne contrairement à la cuillère à soupe. La petite cuillère sera introduite horizontalement. L'accompagnant exercera une pression verticale avec le dos de la cuillère sur la langue et la retirera ensuite horizontalement.
Une synthèse illustrée des adaptations et accompagnements se trouve dans la plaquette « Autisme : adaptations et aménagements pour un repas facilité : guide pour les parents et les professionnels » (Roch, 2012).
La durée du repas
En dernier lieu, nous allons nous intéresser à la durée du repas et aux intervalles entre les différentes prises alimentaires. Force est de constater que le temps du repas est souvent beaucoup trop long. Il peut aller jusqu'à 90 minutes. Cela met la personne avec un syndrome de Rett en difficulté. Pour rappel, le temps moyen d'un repas convivial de quatre plats en famille est de 17 minutes. Des études (Oddy et al., 2007) recommandent une durée qui ne dépasse pas l5 minutes pour un repas en texture « purée ». Pour un repas en petits morceaux tendres, il paraît raisonnable de ne pas dépasser 20 minutes. Nous vous renvoyons à la notion d'équilibre énergétique, explicitée ci-devant pour motiver l'importance de réduire le temps de repas. L'écart entre les différentes prises alimentaires est aussi un facteur important. Il faut laisser le temps ä la digestion de se faire. La personne n'aura pas faim en cas de repas trop rapprochés. D'une façon générale, cet intervalle doit se situer entre 3 et 6 heures.
En présence de difficultés lors des repas, il convient donc d'analyser les critères suivants afin d'objectiver les problèmes et ainsi pouvoir y remédier :
l'installation (de la personne et de l'aidant) ;
les textures, odeurs, températures ;
la motricité bucco-faciale ;
l'écart entre les repas, leur durée ;
la douleur ;
la manière de donner ä manger ;
l'ambiance du repas.
Nourrir est un soin, un acte de soutien, voire un acte d'amour. Nourrir crée une relation très particulière et unique. Lorsque le temps du repas ne se déroule pas correctement, cela engendre un niveau majeur de souffrance chez l'accompagnant. Le programme de désensibilisation du syndrome de dysoralité sensorielle, les adaptations et les aménagements sont connus. Les mettre en œuvre participe à un meilleur état de santé général (qui permet de mieux supporter une intervention chirurgicale comme l'arthrodèse, par exemple) et ä une meilleure qualité de vie des personnes atteintes du syndrome de Rett et de leur famille.