Peu d’études se sont intéressées aux manifestations comportementales et émotionnelles observées dans le syndrome de Rett. Certaines de ces manifestations sont retenues comme critères principaux requis pour le diagnostic de syndrome de Rett typique, tels la perte de l’usage des mains et les mouvements anormaux des mains (stéréotypies, mains portées répétitivement à la bouche avec automutilations). D’autres servent de critères de soutien pour le diagnostic des formes atypiques du syndrome Rett, comme les anomalies respiratoires (hyperventilation, pauses respiratoires), le grincement de dents (bruxisme), les troubles du sommeil. Mais d’autres troubles comportementaux, appartenant soit au registre de l’autisme, soit à celui de l’anxiété ou des troubles de l’humeur, sont également fréquents.
Le syndrome de Rett et l’autisme
En général, les signes autistiques sont présents durant la phase 2 (dite de régression) du syndrome de Rett, et s’améliorent, voire disparaissent, durant la phase 3 (dite de stabilisation), avec un rétablissement du contact oculaire et de l’intérêt pour les interactions interindividuelles. Cependant un certain nombre d’études montrent que des signes d’autisme peuvent persister au-delà de la phase de régression (Kaufmann et al., 2012). C’est généralement entre l’âge de 2 et 4 ans que le diagnostic d’autisme peut être évoqué en première intention chez la petite fille porteuse d’un syndrome de Rett, avant même que le syndrome de Rett n’ait été confirmé. Les signes, pouvant appartenir au registre de l’autisme (sans en être spécifiques toutefois), sont le repli sur soi, l’indifférence aux personnes ou aux objets, la pauvreté du contact oculaire et de la mimique, des rires continus ou inappropriés, l’insensibilité à la douleur, la fixation des lumières, l’inquiétude ou la peur suscitées par les bruits, la foule et les situations non familières.
Des signes d’autisme sont fréquemment observés chez des sujets sévèrement retardés. Cependant, certains d’entre eux (manque de réponse sociale, hyper- ou hyposensibilité aux stimulations de l’environnement) seraient plus marqués chez les filles atteintes d’un syndrome de Rett, comparées à des filles porteuses de déficience intellectuelle de même sévérité, mais sans syndrome de Rett associé (Mount et al., 2003). En outre, les fillettes syndrome de Rett, pour qui un diagnostic d’autisme aurait été initialement posé, auraient une évolution plus favorable de leur syndrome de Rett (meilleures déambulation et utilisation des mains). Par ailleurs, les signes d’autisme seraient plus nets chez les jeunes filles porteuses des formes atypiques de syndrome de Rett plus légères, avec préservation du langage (Young et al., 2008).
La parenté clinique entre le syndrome autistique et le syndrome de Rett, tout au moins sur une période transitoire de leurs évolutions respectives, a ainsi conduit à répertorier les deux syndromes, dans les classifications internationales des maladies CIM 10 (OMS,1994) ou des maladies mentales DSM IV et DSM IV-R (APA -1994, 2000), au sein de la même grande catégorie diagnostique appelée « Troubles Envahissants du Développement » ou TED (en anglais : Pervasive Developmental Disorders), catégorie qui regroupe des pathologies altérant précocement le développement de l’enfant dans tous ses secteurs de fonctionnement (motricité, cognition, langage, communication sociale). L’estimation de la fréquence des signes d’autisme dans le syndrome de Rett varie selon les études et les instruments de recueil des données.
50 % des fillettes Rett présenteraient un syndrome autistique, cette proportion décroît ensuite avec l’âge pour ne concerner ultérieurement que 19 % des cas (Wulffaert et al., 2009). Si les classifi cations diagnostiques actuellement en rigueur n’autorisent pas à poser simultanément les diagnostics de trouble autistique et de syndrome de Rett, leur cooccurrence (comorbidité) ne serait pourtant pas rare. Cette communauté clinique est d’ailleurs relancée par les découvertes récentes en génétique (Neul, 2012), montrant que :
certaines mutations dans le gène MECP2, même si elles ne correspondent pas à celles retrouvées dans le syndrome de Rett, seraient impliquées dans certains cas d’autisme idiopathique (c’est-à-dire non imputables àun syndrome identifiable) ;
des duplications du gène MECP2, conduisant à une surexpression du gène (au contraire de ce qui se passe dans le syndrome de Rett), seraient responsables, chez les garçons, de syndromes autistiques associés à des retards mentaux modérés à graves, avec atteinte sévère du langage, épilepsie, mouvements anormaux (choréiformes, trémulations) et spasticité.
Ces données nouvelles sur les conséquences des anomalies du gène MECP2, induisant non seulement des syndromes de Rett, mais aussi des maladies psychiatriques (manie, psychose), neurologiques (retards mentaux, épilepsie, mouvements anormaux) et neurodéveloppementales (autisme), introduisent des hypothèses sur les processus physiopathologiques résultants, sinon causaux, susceptibles d’expliquer pourquoi le syndrome de Rett et le syndrome autistique partagent des expressions comportementales communes, même transitoires. De même, la réversibilité des troubles comportementaux observés dans le modèle murin du syndrome de Rett ouvre des perspectives d’espoir thérapeutique pour le syndrome de Rett, mais aussi pour les autres pathologies possiblement concernées par des mutations dans le gène MECP2.
Les autres troubles comportementaux fréquemment observés
À côté des symptômes autistiques, un certain nombre d’anomalies comportementales sont rapportées dans le syndrome de Rett. Un questionnaire rempli par les parents de 107 enfants porteuses d’un syndrome de Rett et âgées de 2 à 28 ans (Sansom et al., 1993), montre que :
50 % d’entre elles ont des comportements d’automutilation (se mordre les mains, mâchonner ses doigts, se cogner la tête, s’arracher les cheveux, se griffer) ;
76 % ont présenté des phases d’anxiété, supposées au vu de signes externalisés comme une hyperventilation, des expressions faciales d’effroi et de panique, des cris, l’accentuation d’automutilations. Ces épisodes d’anxiété sont favorisés par des évènements extérieurs (bruits soudains inhabituels, lieux et personnes non familiers, changements de routines, environnement bruyant et remuant) ;
70 % présentent des changements d’humeur, brefs ou prolongés (dans 9 % des cas). Il est difficile de parler de réelle dépression, car les éléments d’évaluation ne reposent que sur le ressenti de l’entourage à partir de signes externalisés indirects comme ceux déjà cités pour l’anxiété, et les signes internalisés qui servent habituellement à évaluer la dépression (tristesse, perte de plaisir et de l’élan vital) ne sont pas accessibles chez des personnes avec des capacités intellectuelles déficientes et des moyens d’expression et de communication altérés.
Ces trois registres de manifestations comportementales (automutilations, anxiété et changement d’humeur) semblent ne pas être liés à la présence concomitante d’une épilepsie, et s’améliorent avec l’âge.
Les troubles du sommeil (cris, pleurs ou rires nocturnes, réveils nocturnes, grincements de dents, épilepsies durant la nuit, sommeil diurne augmenté) sont retrouvés dans 80 à 94 % des cas de syndrome de Rett, quel que soit l’âge. Ils sont plus fréquents chez les sujets jeunes et chez les filles porteuses, soit d’une large délétion du gène MECP2, soit des mutations R294X ou R306C, dont l’expression clinique (phénotype) serait moins sévère (Young et al., 2007). L’incidence de cris et d’épilepsie nocturnes n’est pas corrélée au type de mutation. En revanche, les phénotypes les plus légers, associés aux mutations R294X, R306C, mais aussi R133C, exprimeraient davantage de comportements rattachables à l’humeur, à la peur ou l’anxiété, comparativement aux mutations R270X, dont l’expression clinique plus sévère, avec davantage de stéréotypies des mains et des capacités de mobilité plus restreintes, ne permettrait pas aux jeunes fi les qui en sont porteuses d’externaliser des problèmes émotionnels
(Bebbington et al., 2008).
L’apparition de nouveaux troubles du comportement peut révéler :
des atteintes somatiques, sources de gêne ou de douleurs, d’origine gynécologiques (vaginites, syndrome prémenstruel), alimentaires ou nutritionnelles (reflux gastro-oesophagien, troubles masticatoires, constipation), orthopédiques (scoliose, déformations des pieds, ostéoporose), neurologiques (crises d’épilepsie durant le sommeil) ;
une insatisfaction, un besoin, une inquiétude générée par des changements dans l’environnement (personnes nouvelles, absence des personnes référentes, routines modifiées, changement de lieux de vie ou de prises en charge).
Au total, en dehors des causes organiques qui appellent un traitement spécifique médicamenteux, chirurgical ou prothétique, la conduite à tenir devant un trouble du comportement se résume souvent à des mesures de confort (petits repas fractionnés riches en glucides, bains chauds et jeux d’eau, massages, musique), à un réaménagement voire minime de l’environnement (rituels respectés, temps de repos entre les activités, diminution des stimulations sécurisation de l’enfant par des jouets favoris et par la parole, réassurance des parents quant à la bénignité du trouble).
La pertinence des systèmes de classification diagnostique
La nouvelle classification internationale diagnostique des troubles mentaux DSM 5, attendue aux États-Unis en mai 2013, prévoit :
de réviser les critères exigibles pour les diagnostics des troubles apparentés à l’autisme, devant leur inflation continue depuis l’entrée en vigueur du DSM IV ;
et d’en faire sortir le syndrome de Rett.
Les motifs allégués pour la disparition de l’entité du syndrome de Rett de cette future classification diagnostique sont les suivants :
les manifestations assimilables à l’autisme dans le syndrome de Rett ne sont le plus souvent que transitoires dans le parcours de l’enfant qui en est porteuse ;
l’étiologie génétique est désormais bien établie dans le syndrome de Rett et a permis de mettre à disposition une confirmation biologique, alors que les causes de l’autisme ne sont encore qu’à l’état d’hypothèses et qu’aucun examen objectif ne permet à l’heure actuelle d’en valider le diagnostic.
Cependant certains chercheurs (dont Huda Zoghbi, auteur de la première publication en 1999 rapportant l’implication d’une mutation du gène MECP2 dans le syndrome de Rett) objectent que des mutations génétiques sont de plus en plus fréquemment repérées dans les troubles autistiques : l’identification d’une étiologie devrait-elle alors conduire à exclure ces cas d’autisme du DSM ? Par ailleurs, les parents en Amérique du Nord s’inquiètent déjà de voir leurs enfants atteintes d’un syndrome de Rett ne plus disposer des soins auxquels l’attribution du diagnostic classificatoire de Trouble Envahissant du Développement leur permettait de prétendre (services éducatifs, orthophonie et moyens de communication alternatifs), sachant que les classifications diagnostiques ne sont pas utilisées uniquement en vue de l’uniformisation des données scientifiques pour les professionnels de santé et les chercheurs, mais le sont aussi à des fins médico-économiques.
Conclusion
L’un des moyens de contourner ces dérives des classifications diagnostiques uniquement médico-centrées est de prendre en compte l’ensemble des conséquences et répercussions du handicap induit par la pathologie sur le fonctionnement général de la personne et son adaptation sociale. C’est-ce que propose la Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), publiée par l’OMS en 2001 et en 2007 dans sa version pour enfants et adolescents (CIF-EA), adoptée par plus de 200 pays, mais totalement inexploitée en France (World Health Organization, 2007).
L’utilisation préférentielle de la CIF permettrait d’évaluer le handicap, non plus uniquement par le référentiel catégoriel dans lequel les classifications diagnostiques le rangent selon la pathologie qui l’a généré, mais par les capacités préservées ou au contraire restreintes qu’il induit dans la vie courante du sujet, et surtout par les facteurs d’environnement qui peuvent minorer ou aggraver ce handicap. Les critères d’attribution de ressources spécialisées s’en trouveraient ainsi modifiées, et non plus tributaires de taxinomie diagnostique.